
Jean-Paul Sartre
« Alors, il paraît que vous allez chanter ? «
Un soir du début du printemps 1949, la jeune Juliette Gréco, comédienne et pilier de Saint-Germain-des-Prés, dîne avec Jean-Paul Sartre au restaurant La Cloche d’or. En redescendant vers la Seine, le philosophe questionne la jeune femme : « Alors, il paraît que vous allez chanter? » Interloquée, Gréco bredouille. Mais Sartre insiste et lui dit : « Je vais vous choisir vos chansons »… Dès le lendemain, il lui propose quelques textes.

Raymond Queneau
Parmi ceux-ci, un poème de Raymond Queneau qui débute ainsi : « Si tu t’imagines ». Juliette Gréco, qui commençait effectivement à envisager de chanter, est emballée par ce texte et souhaite que Joseph Kosma, compositeur à succès (des « Feuilles mortes » notamment), en écrive la musique. Sartre jouera les intermédiaires puisque Kosma n’a pas le téléphone… En choisissant ce texte, Sartre démontrait un « flair » peu commun : le texte collait parfaitement à cette chanteuse… qu’il n’avait jamais entendue chanter. Et pour cause, puisqu’elle n’avait jamais chanté en public !
Juliette Gréco
Quelques semaines plus tard, Juliette Gréco, paralysée par le trac, fait la réouverture du cabaret « Le Bœuf sur le toit », situé non loin des Champs-Elysées. Elle interprète « Si tu t’imagines » avec une sensualité, une ironie, une grâce qui lui valent un vif succès. François Mauriac, qui figure parmi l’auditoire, l’invite à sa table ; Marlon Brando, présent lui aussi, la félicite. L’année suivante, elle enregistrera son premier 45 tours. En plus de « Si tu t’imagines », ce premier disque de Juliette Gréco contiendra une chanson écrite par Jean-Paul Sartre lui-même (« Rue des Blancs Manteaux »), le seul texte de chanson qu’il ait d’ailleurs écrit et une autre par Robert Desnos (« La Fourmi »), toutes mises en musique par Joseph Kosma.
« C’est bien connu »
Le poème chanté par Juliette Gréco, connu sous le titre de « Si tu t’imagines », s’intitule en réalité « C’est bien connu ». Ecrit par Raymond Queneau à la suite d’une rupture amoureuse, il fut d’abord publié dans le recueil L’Instant fatal. C’est un clin d’œil à l’Ode à Cassandre, célèbre poème de Ronsard (« Mignonne, allons voir si la rose »). D’ailleurs, Queneau, esprit malicieux, présentait ainsi ce poème : « Sur un t’aime de Ronsard, pouète françoué »
La chanson obtint un tel succès qu’elle donna son titre au recueil général des poésies écrites par Raymond Queneau entre 1920 et 1951. « Si tu t’imagines » lança la très longue carrière d’interprète de Juliette Gréco, archétype de la chanteuse « rive gauche », interprète exceptionnelle, qui sut offrir à un vaste public des textes exigeants.
Source: Notretemps.com
« Gréco a des millions dans la gorge : des millions de poèmes qui ne sont pas encore écrits, dont on écrira quelques-uns. On fait des pièces pour certains acteurs, pourquoi ne ferait-on pas des poèmes pour une voix ? Elle donne des regrets aux prosateurs, des remords. Le travailleur de la plume qui trace sur le papier des signes ternes et noirs finit par oublier que les mots ont une beauté sensuelle. La voix de Gréco le leur rappelle. Douce lumière chaude, elle les frôle en allumant leurs feux. C’est grâce à elle, et pour voir mes mots devenir pierres précieuses, que j’ai écrit des chansons. »
Jean-Paul Sartre
Juliette Gréco – Si tu t’imagines (1950)
Si tu t’imagines / Raymond Queneau – Joseph Kosma- 1947
Si tu t’imagines
Si tu t’imagines, fillette fillette
Si tu t’imagines
Qu’ça va qu’ça va qu’ça
Va durer toujours
La saison des a
La saison des a
Saison des amours
Ce que tu te gourres fillette fillette
Ce que tu te gourres
Si tu crois petite
Si tu crois hum hum
Que ton teint de rose
Ta taille de guêpe
Tes mignons biceps
Tes ongles d’émail
Ta cuisse de nymphe
Et ton pied léger
Si tu crois qu’ça va
Qu’ça va qu’ça va qu’ça
Va durer toujours
Ce que tu te gourres fillette fillette
Ce que tu te gourres
Les beaux jours s’en vont
Les beaux jours de fête
Soleils et planètes
Tournent tous en rond
Mais toi ma petite
Tu marches tout droit
Vers c’que tu n’vois pas
Très sournois s’approchent
La ride véloce
La pesante graisse
Le menton triplé
Le muscle avachi
Allons cueille cueille les roses, les roses
Roses de la vie
Roses de la vie
Et que leurs pétales
Soient la mer étale
De tous les bonheurs
De tous les bonheurs
Allons cueille cueille
Si tu le fais pas
Ce que tu te gourres fillette fillette
Ce que tu te gourres
Lire la biographie de Juliette Gréco
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